jeudi 12 juin 2008

Interview Eric Verhoest

Champaka est intimement liée à Chaland et Champaka est intimement liée à Eric Verhoest .
Les Amis de Freddy ont donc contacté Eric Verhoest et lui ont posés quelques questions .... Nous reproduisons ici les réponses que E. Verhoest nous a très gentiment transmises.



Geert : On connaît bien Champaka et son catalogue prestigieux qui fait frémir tous les amateurs de bandes dessinées que nous sommes, mais nous connaissons peu les prémisses de cette maison d'édition, notamment la collaboration avec Thomas Spitaels qu'en est-il ?

Eric Verhoest : J’ai fait la connaissance d’Yves Chaland alors que je travaillais chez Chic Bull, la librairie spécialisée de Daniel et Didier Pasamonik. Je devins plus tard attaché de presse (avec, en prime d’embauche, quelques missions essentielles à la survie d’une maison naissante : coursier, magasinier, etc. de leur maison d’édition, Magic Strip. J’ai donc assisté à la création de la collection « Atomium 58 » et de son étendard : « Le testament de Godefroid de Bouillon ». Depuis, je suis un missionnaire de la « Nouvelle ligne claire ». Thomas Spitaels était alors au carrefour de nombreux chemins de la bande dessinée à Bruxelles. Marchand en chambre, collectionneur et esthète dandy, il prenait plaisir à initier les dessinateurs parisiens aux profondeurs de la nuit bruxelloise. Comme tous les amateurs de bande dessinée quelque peu entreprenants, nous rêvions de devenir éditeurs. Thomas imaginait refaire le coup de Jacques Glénat, passé du fanzinat au professionnalisme. Moi, prudent, je comptais le nombre d’éditeurs morts trop jeunes au champ d’honneur. Thomas trouva le nom mystérieux de notre établissement commercial, veilla aux comptes, tandis que j’avais pour objectif de convaincre les auteurs de nous rejoindre. Braconniers, nous nous aventurions sur les terres de Magic Strip. Normal, nos goûts « Style Atome » étaient fort proches. Notre Yalta mental était clair : pour eux les albums, à nous les sérigraphies et autres portfolios. Serge Clerc ayant été le premier artiste à nous faire confiance, il s’agissait maintenant de convaincre son frère graphique, celui autour duquel tous nos confrères tournaient : Yves Chaland. Cela se déroula dans une taverne de la place de Brouckère. Je lui remis les sérigraphies des couvertures de « La machine à conquérir le monde » et du « Fantôme espagnol », sans oublier celle qui reproduisait le camion jaune du « Chinois à deux roues ». Après un silence dont il avait le secret, le verdict tomba, implacable : « Je ne peux que rejoindre un éditeur qui rend hommage au « Jean Valhardi » de Paape et Charlier, au « Bob et Bobette » de Vandersteen et au « Gil Jourdan » de Tillieux ! » Champaka venait de s’offrir son âme graphique.


image copyright Chaland et ed. Champaka


Geert : Quelle excellente initiative fut la publication de « Coeurs d'Acier » en 1990, mais cette nouvelle publication à venir sera t elle autorisée à mentionner le nom de S et F, et que représente pour vous cette aventure dans l'histoire de ce héros créé par Robert Velter?

Eric Verhoest : Je crois qu’il n’est pas inintéressant de revenir en amont. Alors que Thomas s’était lancé dans une nouvelle aventure dans le monde des affaires, j’étais désormais seul aux commandes de l’esquif éditorial. Chaland me testa, avec une mission impossible : éditer en album son « Spirou et Fantasio ». Les strips - dont chaque case méritait d’être éditée en sérigraphie - étaient parus dans l’hebdomadaire « Spirou », mais un revirement éditorial avait empêché Chaland d’inscrire le mot « Fin ». Au début des négociations, Dupuis refusa qu’Yves termine son récit sous forme de bandes dessinées, même pour un album destiné au marché-niche des collectionneurs. Seuls Tome et Janry pouvaient toucher au groom en rouge. Chaland, désormais associé à Yann, se fit fort de terminer le récit sans dessiner, ni même nommer Spirou et Fantasio. Un premier livre reprit le matériel paru dans « Spirou ». Chaland et Isabelle Beaumenay-Joannet lui offrirent une couleur sépia qui les plongea résolument dans l’esprit des années ‘40. Le second volume accueillit un texte illustré par une dizaine de hors-textes en couleurs que l’acheteur, après s’être glissé dans la peau de ses grands-parents, devait prendre plaisir à coller avec le plus grand soin. Chaland rêvait d’une cerise pour orner le gâteau « Cœurs d’acier », véritable machine à remonter le temps : rencontrer Charles Dupuis. L’homme qui vient de céder sa maison d’édition accepte. Yann nous rejoindra. Chacun des quatre convives se souviendra longtemps de ce repas. Jusqu’à la fin de sa vie, Charles Dupuis me dira : « Dommage que Chaland n’ait pas pu continuer Spirou. C’était bien, digne de Jijé et Franquin ». Yves et moi avons tenu à ce que « Cœurs d’acier » soit dédié à l’éditeur des Franquin, Peyo, Tillieux, Jijé et autres Morris. Nous sommes en 1990, et tout le monde ignore qu’il s’agira de son dernier album de bande dessinée. Au même moment, Champaka lance la collection « Copie conforme » avec quatre cases magiques de « Cœurs d’acier ». Je sonde Chaland pour avoir son avis sur les cases de « Gil Jourdan » et de « Zorglub » les plus dignes d’être reproduites en sérigraphie. Après m’avoir dit « Laisse-moi la direction graphique de cette collection », il emporte ce travail pour le mener à bien durant ces fatales vacances estivales. Car Chaland travaillait tout le temps. Ce qui explique qu’en une décennie, il avait réalisé ce que certains ne réalisent pas en une carrière. Isabelle, son épouse, me transmettra, en automne, les esquisses laissées par Chaland. Stéphan Colman finalisera ce travail. Depuis, Champaka essaye de maintenir allumée la flamme Chaland. Pour revenir à votre question, il a été convenu avec les Editions Dupuis que les noms des personnages seraient mentionnés.

Geert : Pourquoi avoir choisit de rassembler les deux tomes en un seul volume ?

Eric Verhoest : Notre volonté était de mettre ce très beau matériel à la disposition d’un public plus large, mais aussi à un prix plus accessible. D’où l’édition en un volume. Avec le recul, l’édition de 1990 pourrait être considérée comme le tirage bibliophilique et celle de 2008 comme l’édition définitive. Il ne s’agit en aucun cas d’appliquer le terme « intégrale » à cet opus.

Geert : Concernant Chaland « Portrait de l'Artiste », vous mentionnez un format graphic Novel (soit 10,25/6,5 inches ou 26/16,5 cm) est ce exact ? Avez vous défini si il s'agira d'une reliure cartonnée ou d'une souple ?

Eric Verhoest : Il s’agira d’un livre broché, avec des rabats pour rigidifier la couverture. A travers un matériel iconographique puissant, l’idée est de réaliser un livre avec du contenu, une sorte de biographie impresionniste. Nous sommes sont entre les formats habituels de albums de bande dessinée et des biographies romancées.

Geert : Vous citez une certain nombre de dessinateurs participants à cet ouvrage mais il y a un etc , qui cache-t-il ? Auriez-vous un ou deux noms supplémentaires à nous dévoiler ?

Eric Verhoest : Non, pas de mystère. Le projet est et reste encore évolutif jusqu’à la mi-juillet.

Geert : Attendant avec impatience ces deux publications, seront-elles proposée avec un tirage spécial (ou non d'ailleurs) pour les rencontres Chaland à Nérac en septembre ?

Eric Verhoest : Pas de tirages spéciaux prévus (à ce stade).

Geert : Est-il possible d'acheter des exemplaires de l'un et de l'autre par souscription ?

Eric Verhoest : Ces deux opus seront disponibles dans toutes les bonnes libraires générales ou spécialisées en BD. Je ne puis néanmoins qu’encourager les amateurs de l’œuvre de Chaland de déjà réserver un exemplaire…

Geert : S'agira-t-il de tirages limités?

Eric Verhoest : Le premier tirage de « Cœurs d’Acier » sera de 10.000 exemplaires. En cas d’épuisement, nous devrons négocier un nouveau contrat avec les Editions Dupuis. « Portait de l’artiste » connaître un seul et unique tirage de 2500 exemplaires.

Geert : Quelle image gardez vous de Chaland ?

Eric Verhoest : Au début, j’appréciais Chaland pour le bain de jouvence nostalgique qu’il m’offrait, suite à la désertion des Hergé, Franquin, Jacobs et Tillieux. Sans trop de fierté, je dois avouer que « La comète de Carthage » m’avait déboussolé et, lorsque Chaland m’interrogea au sujet de sa récente association avec Yann, je préconisais qu’il continue en solo dans la veine du « Cimetière des éléphants ». « Tu te trompes », me répondit-il… Certains diront que j’avais l’excuse d’être né au Congo belge, moi je sais désormais que le bougre avait raison d’aller de l’avant.

Geert : Quelle image dessinée par Chaland vous reste en mémoire ?

Eric Verhoest : La sérigraphie de Freddy Lombard (avec un pont à Linkebeek) qu’il a réalisée pour Magic Strip, les images du portfolio « Cauchemars » et le dessin « Spirou aux Galeries Anspach » (entre autres).



Geert : Le mot de la fin ?

Eric Verhoest : Depuis son départ, je me demande régulièrement ce qu’aurait fait Chaland et, souvent, j’imagine ce prince graphique qui maîtrisait les techniques que l’on dit désormais « anciennes », virevolter devant des machines graphiques sophistiquées. Si je le vois concevoir des univers de dessins animés aussi séduisants qu’effrayants pour les jeunes pousses, je reste convaincu qu’il aurait toujours fait des retours intelligents vers la bande dessinée et les instruments de travail de sa jeunesse. Chaland était sans doute, dans la profession, le seul « classique » qui n’avait pas peur de regarder le futur en face, et le seul « moderne » qui ne se sente pas obligé de regarder avec un soupçon de dédain les Maîtres de sa jeunesse. Et puis, surtout, Chaland, comme moi, avait une immense tendresse pour ces « petits » maîtres » qui, autant que les « grands », firent la splendeur de l’âge d’or de la bande dessinée franco-belge.



Un grand merci Monsieur Verhoest pour toutes ces précision et ces informations .....

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Félicitations pour ce bel entretien plein de souvenirs précieux et émouvants.

Anonyme a dit…

Aucun rapport avec cet article : pas mal le nouveau look du blog.

Geert a dit…

Bonjour messieurs,

Merci pour vos critiques, c'est effectivement un bien bel entretien. Quant au nouveau look .... il m'a étét suggéré par un ADF .... question lisibilité il est vrai que c'est mieux.
à bientôt

Geert