STÉPHANE C. JONATHAN si vous voulez lire l'article sur le site de Sud-Ouest
Un article de Stéphane C.Jonathan :
Dessinateur génial, maître de la fameuse ligne claire héritée d’Hergé, Yves Chaland (1957-1990) est aujourd’hui un monument. Annuellement fêté par ses pairs, il est chaque automne l’obligée figure tutélaire d’un festival qui porte son nom : dans la commune de son enfance (Nérac, en Lot-et-Garonne), les Rencontres Yves Chaland conjuguent expositions, conférences, dédicaces, cinéma, ateliers, concours de dessin… (voir ci-dessous)
En cette année de 75e anniversaire de « Spirou », Chaland fait aussi l’actualité des librairies : vendredi paraîtra un livre retraçant une destinée peu commune. « “Spirou” par Yves Chaland », ou l’histoire maudite d’un rendez-vous presque raté.
Isabelle Beaumenay-Joannet, qui fut la compagne et l’indispensable coloriste de Chaland, est aussi à l’origine des Rencontres et de ce livre. Elle raconte.
« Sud Ouest Dimanche ». Que représentait « Spirou » pour Yves Chaland ?
I. Beaumenay-Joannet. Une formidable madeleine de Proust : à Nérac, son parrain était abonné au journal « Spirou ». Il faisait partie de la horde de cousins qui dévoraient ces journaux. Pas forcément dans l’ordre chronologique d’ailleurs. Enfant, il rêvait devant les décors et le design des meubles dessinés par Franquin. Au fin fond du Lot-et-Garonne, il n’avait pas souvent l’occasion d’admirer des belles voitures américaines. Dans ses cahiers d’écoliers, ses dessins copiaient le sens du mouvement et la modernité de Franquin. Puis avec la découverte de Jijé, la bande dessinée belge est devenue sa grande passion.
Comment a-t-il été amené à travailler sur ce personnage ?
Les Éditions Dupuis l’ont contacté pour le lui demander. Il avait 25 ans, c’était fantastique. Mais l’atmosphère au journal « Spirou » était un peu spéciale en cette année 1982. C’était la guerre au sommet : un rédacteur en chef voulait un Spirou contemporain, plus moderne. Et il avait contre lui des dinosaures conservateurs qui refusaient farouchement qu’on bouscule la routine de leur personnage emblématique.
Comment vivait-il cela ?
Il se retrouvait en porte-à-faux : il avait l’ambition de faire un vrai grand album de « Spirou ». Mais à « Spirou », il était hors de question que son travail vienne gêner celui des deux équipes (dont le tandem Tom & Janry) qui avaient repris la série après Franquin et Fournier.
Il faisait donc des strips en bichromie, dans le journal. Un format semblable à celui des origines du personnage. Mais au bout d’une quarantaine de strips, ça ne passait plus. Son style très années 1940, l’histoire de « Cœurs d’acier », son intégrité artistique… Le fil s’est cassé avec le journal, en proie à des tempêtes éditoriales terribles. La série s’est arrêtée d’un coup net.
Pourtant, Spirou lui reviendra une nouvelle fois…
Oui, en 1986. La guerre était semble-t-il terminée à la rédaction en chef de « Spirou » quand on l’a à nouveau sollicité. Pour un album cette fois-ci. Une vraie grande aventure, avec Yann au scénario. Spirou devait partir en Afrique débusquer la ville souterraine où sont fabriqués les cœurs des robots. Le découpage a été fait, plusieurs pages été dessinées, certaines encrées… Et Dupuis a tout mis au panier avant de demander que l’action se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. Chaland et Yann ont alors refondé le scénario : Spirou redevient groom, au Moustique Hôtel, et fait les poches des nazis pour leur voler des informations. Fantasio, quant à lui, est un clochard à qui Spirou fait l’aumône… Plusieurs pages ont été réalisées avant un nouveau coup de fil : on ne voulait plus de Chaland pour « Spirou ». Les auteurs de la série classique refusaient qu’il existe un autre Spirou dans le journal.
Yves a été extrêmement déprimé. Un rêve s’écroulait. En 1990, on a décidé de quand même publier « Cœurs d’acier », chez Champaka. Mais n’ayant pas les droits sur les personnages, leurs noms ont été gommés… Et nous avons affublé Spirou et Fantasio de cagoules léopard ! (rires). Puis le temps a passé : vingt-cinq ans après, José-Louis Bocquet a écrit un texte racontant cette histoire, j’ai rassemblé tout le travail de Chaland sur Spirou. Et cet automne, pour la première fois, l’intégrale du « Spirou » de Chaland paraît chez Dupuis !
« Spirou par Yves Chaland », éd. Dupuis, 112 p., 22 €. Sortie le 4 octobre.
« Dans ses cahiers d’écolier, ses dessins copiaient le sens du mouvement et la modernité des albums de Franquin »